Débat européen
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Février 2023
M. Jean Vergès, président d'honneur du Mouvement Européen Provence
LA COMMUNAUTE POLITIQUE EUROPEENNE
Le sommet de Prague
(6 octobre 2022)
Le "sommet" qui a réuni à Prague, le 6 octobre 2022, quarante-quatre chefs d'Etat ou de Gouvernement européens a décidé la création d'une "Communauté politique européenne" (CPE). Plusieurs participants s'y sont exprimés, dont le président du Conseil européen, Charles Michel, et le président de la République française. La déclaration d'Emmanuel Macron s'inscrit dans la meilleure tradition diplomatique française de contribution à la paix mondiale et à la sécurité de l'Europe. Aujourd'hui comme naguère, "la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent" (Robert Schuman).
Première lecture des textes publiés sur les sites de la présidence du Conseil européen et du ministère des Affaires étrangères français, et quelques éléments à vocation surtout pédagogique. Le "sommet de Prague" est directement né du retour de la guerre sur notre continent. Il résulte d'une initiative française prise dans le cadre de l’UE. Ce "sommet", réuni dans une ville symbolique, a donné la "photo de famille" d'une "Europe européenne". Cette Communauté "politique" se veut d'abord un "espace de coopération". Son intuition centrale est celle d'une Europe qui "se regarde comme un continent".
1. Le retour de la guerre en Europe
Certains événements font date. L'invasion de l'Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, en est une. La réunion à Prague, le 6 octobre 2022, du premier "sommet" de la "Communauté politique européenne" est encore un événement, un projet, qui se veut fondateur. La Guerre de Troie a eu lieu. Les portes du temple de la guerre ont été ouvertes.
La guerre, une guerre de "haute intensité", a fait irruption sur cette partie du continent qui l'avait oubliée. "L’opération spéciale" annoncée par le gouvernement russe s'est avérée "une guerre d'invasion" dont nous n'avons pas su voir les prémices, "une agression russe", justement qualifiée comme telle dans la déclaration d'Emmanuel Macron. Les quarante-quatre chefs d'Etat ou de Gouvernement qui se sont réunis à Prague ont "clairement dit leur condamnation [...] et leur soutien à l'Ukraine". Cette guerre, déjà longue, déploie ses effets : des milliers de morts et de blessés, des destructions massives et l'épouvantable cortège des horreurs de la guerre. Ils se répandent par ondes concentriques dans les flux humains, les courants économiques et les grands équilibres mondiaux. La carte même du continent...
2. Une initiative française dans le cadre de l'Union européenne
L'Union européenne ne résume pas l'histoire de la construction européenne. Le "Congrès de l'Europe" (7-10 mai 1948) a été suivi de la création de multiples organisations européennes. La "Déclaration Schuman" du 9 mai 1950 a donné naissance, à partir de la CECA, à la "construction communautaire" dans le cadre des "Communautés européennes" (CECA, CEE, CEEA) puis dans celui d'une "Union européenne" progressivement élargie des six Etats fondateurs aux vingt-sept membres actuels. D'autres Etats européens souhaitent en devenir membres. Depuis le traité de Rome, l'Union se définit comme "une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe" (TUE, article 1 para. 2). Les deux sources de sa légitimité, celle des Etats membres et celle de citoyens de l'Union, définissent la nature spécifique de l'intégration européenne. L'Union n'est pas un Etat fédéral mais déjà plus qu'une confédération. Sa nature définit aussi ses frontières. Au cours des dernières décennies, l'Union a affirmé ses valeurs et ses objectifs selon des méthodes qui lui sont propres. Elle ne les propose pas en modèle à tous les autres Etats du continent.
Dans le cadre des Communautés européennes puis de l'UE, le gouvernement français a pris l'initiative de plusieurs projets nés au sein des principales familles politiques de la République :
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La "Déclaration Schuman" (dite "du salon de l'horloge") du 9 mai 1950 n'a pas vieilli d'une ligne : "La contribution qu'une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. En se faisant depuis plus de vingt ans le champion d'une Europe unie, la France a toujours eu pour objet de servir la paix".
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La Communauté européenne de défense (CED), issue du "Plan Pleven" (20 octobre 1950) fut conduite jusqu'à la conclusion du traité (27 mai 1952) mais l'Assemblée nationale française refusa de le ratifier (30 août 1954).
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Le "Plan Fouchet" (novembre 1961, janvier 1962) inspiré des conceptions du général de Gaulle, proposait l’instauration d’une "coopération politique" en matière diplomatique et de défense. Il ne fut pas accepté par les autres membres de la Communauté mais certains de ses objectifs entrèrent progressivement dans le système communautaire (cf. infra).
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Le projet de "Confédération européenne" lancé par François Mitterrand le 31 décembre 1991, au lendemain de la dislocation de l’Union soviétique, était destiné à accueillir les pays d’Europe centrale et orientale (les "PECO"), sortis du "bloc de l'Est", qui souhaitaient se rapprocher de l’UE mais n’étaient pas prêts à supporter immédiatement le choc du grand marché unique et de ses règles de concurrence. Le projet était de réunir les candidats, ou futurs candidats, à l’adhésion dans une structure souple, une "confédération européenne". Les principes étaient très proches de ceux que l’on retrouvera dans la "Communauté politique européenne" (CPE) de 2022 : une "confédération à caractère politique et juridique" permettant à tous de se retrouver "sur un pied d’égalité et avec une même dignité" pour traiter "d’affaires d’intérêt commun". Des "Assises de la confédération" furent réunies à Prague les 13 et 14 juin 1991. Le projet n’était probablement pas assez préparé et s’enlisa. Les "PECO", délivrés de la sujétion soviétique, n’entendaient pas retarder leur entrée en Europe et la "confédération" risquait d’apparaître comme un substitut à l’adhésion pleine et entière à l’Union.
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L’"Union pour la Méditerranée" (UpM) est une structure beaucoup plus large que l’UE, puisqu’elle s’étend hors du continent européen en englobant les vingt-sept Etats membres de l’UE et quatorze Etats du bassin méditerranéen. Née des accords bilatéraux d’association de la CEE, elle s’est structurée sous des formes successives ("politique méditerranéenne de la CEE", "processus de Barcelone", "Partenariat euromed"). Les impulsions données par les présidences françaises de l’Union européenne en 1995, par Jacques Chirac (conférence de Barcelone en novembre 1995) et par Nicolas Sarkozy en 2008, aboutirent à l’"Union pour la Méditerranée" (UpM), organisation intergouvernementale d’Europe et du bassin méditerranéen à vocation principalement économique, dont les conférences ministérielles mettent en œuvre des coopérations régionales (ex. "conférence sur la recherche et l’innovation").
3. Un sommet à Prague
La capitale de la République tchèque était toute désignée pour accueillir un "sommet" de chefs d’Etats ou de Gouvernement européens, membres ou non de l’UE, à l’invitation du Premier Ministre de la République tchèque, Petr Fiala, en tant que président de l’Union européenne depuis le 1er juillet 2022 : Prague avait accueilli, les 13 et 14 juin 1991, les "Assises de la Confédération européenne". Un lieu symbolique, chargé d’Histoire, présent dans la mémoire de plusieurs générations d’Européens : le "coup de Prague" (17-25 février 1948), les "procès staliniens" (le procès Slansky en novembre 1952), le "printemps de Prague" (5 janvier-21 août 1968). Le Château de Prague fournit le cadre prestigieux d’une "photo de famille" largement reproduite dans les médias du monde entier.
4. La "photo de famille" d’une "Europe européenne"
Les "photos de famille"… il y a ceux qui y figurent et ceux qui n’y figurent pas. Quarante-quatre chefs d’Etats ou de Gouvernement européens y figurent ; pas ceux de la Russie et de la Biélorussie. Pour l’exactitude de l’image, trois précisions : le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, prononça le discours d’ouverture par visio-conférence ; le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, se joignirent à eux. Le sommet de Prague laissera une image : tous les Etats du continent, à l’exception de ceux qui n’y étaient pas invités, et seulement les Etats de ce continent. Une "Europe européenne" ? Tous ces Etats, qui sont culturellement, économiquement, politiquement, très différents, ont accepté de participer à ce grand "espace de coopération" qui s’étend de l’Islande au Caucase, du Portugal à la Finlande. Le cadre de la "photo de famille", c’est un continent.
5. Une Communauté "politique"
Le sigle CPE est commun à deux constructions, séparées de plusieurs décennies : la "Coopération politique européenne" et la "Communauté politique européenne".
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La "Coopération politique européenne" est issue du "Plan Fouchet" (1962) dans le cadre de la CEE quelques années après l’entrée en vigueur du traité de Rome. Inspiré des conceptions du général de Gaulle, ce plan proposait aux six Etats fondateurs un mécanisme strictement intergouvernemental de coopération dans les domaines de la diplomatie, de la défense et de la culture. L’initiative du gouvernement français aboutit à un projet de traité qui ne fut pas retenu par les autres Etats membres qui le jugeaient peu compatible avec l’intégration européenne et avec leurs engagements dans le cadre de l’OTAN. Cependant, certains mécanismes se sont progressivement imposés dans la pratique communautaire. Les "sommets" des chefs d’Etat ou de Gouvernement, d’abord "informels", se sont institutionnalisés sous l’impulsion de Valéry Giscard d’Estaing dans le "Conseil européen" (1979). Certaines politiques européennes, surtout à partir du traité de Maastricht (1992), sont devenues des "piliers" de l’UE (PESC, PESD, coopération judiciaire en matière pénale…). Le chantier de la coopération politique s’était poursuivi dès 1963, mais dans un cadre bilatéral, sur la base de la réconciliation franco-allemande. Le traité de l’Elysée signé le 23 janvier 1963 par le chancelier Konrad Adenauer et le général de Gaulle, dont on vient de commémorer le 60ème anniversaire, reste l’une des structures de l’Union européenne.
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La "Communauté politique européenne" lancée le 6 octobre 2022 au sommet de Prague relève aussi du domaine intergouvernemental reposant sur "l’égale souveraineté" de ses Etats membres, mais son espace géographique est beaucoup plus vaste. Les vingt-sept membres de l’UE se sont associés à dix-sept autres Etats du continent. Certains Etats, dont le Royaume-Uni ou la Turquie, ne se seraient pas rangés sous la bannière de l’Union européenne. Comme à l’époque de la "Confédération européenne" de 1991, tous les participants voulaient se trouver sur un pied d’égalité. "L’UE ne peut pas être le seul moyen de structurer le continent" avait indiqué Emmanuel Macron devant le Parlement européen le 9 mai 2022. La réunion dite "des sherpas" qui a préparé le sommet s’était déroulée au château de Val Duchesse, lieu historique de la construction européenne, à Bruxelles, mais pas au siège du Conseil européen. Tous les Etats réunis au sommet avaient convenu du nom, de l’objectif et du calendrier de leur coopération. L’éphémère Première Ministre du Royaume-Uni souhaitait éviter l’expression "Communauté" qui évoquait des souvenirs "bureaucratiques", mais le terme rallia les suffrages à condition qu’elle soit "politique", c’est-à-dire intergouvernementale et se définisse expressément comme "un nouvel espace de coopération". L’objectif de la CPE est de "renforcer la sécurité, la stabilité et la prospérité du continent européen". Elle se propose de "favoriser le dialogue politique et la coopération pour toutes les questions d’intérêt commun". Le calendrier des prochaines réunions de la CPE prévoit leur déroulement en Moldavie d’ici le mois de mai 2023 puis en Espagne et au Royaume-Uni.
6. "Que l’Europe se regarde comme un continent"
"Ce que nous avons voulu faire collectivement, en réunissant à Prague 44 Etats souverains, c’est l’idée que l’Europe se regarde comme un continent". La phrase-clé de la déclaration d’Emmanuel Macron résume le "concept CPE", définition d’un projet par sa cible : un projet, une cible, une méthode.
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Le projet est caractérisé par l’hétérogénéité de l’espace et du temps. "De l’Islande au Caucase […]", du Portugal à la Finlande. Un espace dont certaines parties dépassent même les limites que les géographes assignent traditionnellement à l’Europe, mais qui en sont les marches naturelles. Quand au temps… ce continent qui "a produit plus d’histoires qu’il ne pouvait en digérer", selon Emmanuel Macron, a vécu une Histoire qui fut souvent belliqueuse et dont les plus proches voisins sont parfois, encore, en conflit.
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La cible : ces 44 "Etats souverains" qui "partagent le même continent et font face aux mêmes défis en termes de stabilité et de sécurité", constatait Charles Michel en ouvrant le sommet de Prague. Certains passages évoquent aussi la "prospérité". Par prudence, personne n’évoque "les valeurs". La CPE ne se veut ni civilisationnelle, ni religieuse, ni culturelle, ni idéologique, ni économique, ni stratégique. L’expression "intérêt commun" revient à plusieurs reprises. La CPE a pour but de "favoriser le dialogue politique et la coopération pour toutes les questions d’intérêt commun". La liste n’en est pas exhaustive. La réunion proposée pour le mois de mai 2023 suggère un ordre du jour portant sur des questions d’actualité : le dialogue entre les pays directement concernés par le voisinage de la Russie ; les questions concernant les pays candidats à l’adhésion à l’UE. Parmi d’autres sujets ultérieurs : la protection des infrastructures essentielles, la lutte contre la cybercriminalité, un fonds de résilience pour l’Ukraine, une stratégie intégrée dans le domaine énergétique, des projets régionaux, une politique pour la jeunesse, la création d’une université du continent, une politique intégrée sur les migrations…
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La méthode choisie lors de la réunion de Prague s’est voulue discrète et pragmatique. Le "sommet" du 6 octobre 2022 ne s’est pas achevé par une déclaration de principes. "Nous devons miser davantage sur le dialogue, l’écoute et la compréhension mutuelle, non sur le contraire" avait exposé Charles Michel. La rencontre a, notamment, pratiqué des "formats de discussions", des "sessions séparées", restreintes, au cours desquelles des dialogues ont pu s’instaurer. Les observateurs ont pu noter que certains dirigeants ne s’étaient pas encore rencontrés avant le sommet.
La guerre d’Ukraine a lieu. Les portes du temple de la guerre sont toujours ouvertes. Il y a un temps pour la guerre, un temps pour la paix, un temps pour le malheur, un temps pour le courage, un temps pour la raison. Les déclarations du "sommet" de Prague ne constituent pas un "plan de paix". L’initiative française prise au sein de l’Union européenne propose aux Etats du continent un espace de dialogue et de coopération propice à des "efforts créateurs" à la mesure des défis communs.
Mai 2022
Mme Monique Beltrame, présidente du Comité Européen Marseille

Juin 2021
Tribune du Mouvement Européen Alpes-Maritimes, du Mouvement Européen Provence, du Mouvement Européen Var et du Mouvement Européen Vaucluse et environs
